Panorama des principales éditions des œuvres de Rutebeuf. |
Datée de 1990, l'édition de Michel Zink devait proposer quelque chose de neuf dans sa méthode. Cette nouveauté par rapport à Bastin & Faral tient à l'utilisation majoritaire du Manuscrit C et à l'agencement chronologique des pièces.
La liste des textes proposée ci-dessous renvoie aux différentes pièces de Rutebeuf que contient cette édition.
Nous avons voulu garder l'ordre des pièces dans l'édition, en leur adjoignant toutefois une numérotation pour plus de lisibilité, et en conservant la mise à part des pièces 55 et 56 dans l'édition originale.
Poèmes d'attribution douteuse | |
55 | La complainte de Sainte Église (La vie du monde) |
56 | Le dit des propriétés de Notre Dame (Les neuf joies de Notre Dame) |
Conventions éditoriales
Télécharger les conventions | |
Télécharger les conventions |
Les pièces proposées par Michel Zink sont éclairées, dans l'Introduction générale de cette édition, par les conventions éditoriales relatives principalement au choix du manuscrit pris comme référence principale de cette édition. Nous reproduisons ici la partie de cette introduction sous-titrée "La présente édition" :
Œuvres complètes de Rutebeuf, texte établi, traduit, annoté et présenté avec variantes par Michel Zink, M. Zink, 1990 : Paris, Garnier, vol. 1, pp. 32-37.
La présente édition
Etait-il nécessaire de donner une nouvelle édition des œuvres complètes de Rutebeuf ? Il en existe une, monumentale, érudite, excellente : celle d’Edmond Faral et de Julia Bastin (désignée dorénavant par l’abréviation F.-B.). On ne prétend pas la remplacer. La présente édition se fonde sur elle et y renvoie au contraire sur plusieurs points. Ainsi pour la description des manuscrits, très minutieuse dans F.-B. et que l’on ne trouvera ici qu’abrégée. Ainsi pour l’étude grammaticale et pour celle de la versification, que l’on peut tenir pour définitives. De même, on n’a pas cru devoir donner une nouvelle fois un apparat critique complet, que le lecteur intéressé trouvera dans F.-B., avec certes de ci de là d’infimes erreurs, mais trop rares et trop légères pour nécessiter une refonte. En dehors des cas, toujours signalés, où l’on s’est écarté du manuscrit de base, on s’est contenté ici de relever les variantes qui modifient le sens du texte, à l’exclusion des variantes graphiques ou purement morphologiques et de certaines modifications menues (ordre des mots, chevilles, etc.). Ce parti impliquait, il est vrai, des choix subjectifs, et on ne prétend pas avoir toujours opéré avec une cohérence parfaite.
D’autre part, les annotations et les éclaircissements historiques et philologiques donnés par F.-B. sont presque toujours irréprochables. J’y ai puisé si souvent que je n’ai pu signaler mon emprunt à chaque fois, mais seulement lorsqu’il s’agit d’une hypothèse réellement originale ou lorsque je reprends en l’abrégeant une explication. En revanche, chaque fois que je me suis trouvé en désaccord avec F.-B. pour l’interprétation du texte ou que j’ai préféré, touchant les circonstances historiques, l’opinion d’auteurs plus récents, je l’ai explicitement signalé. Le lecteur risque donc de minimiser ma dette à l’égard de mes prédécesseurs et de me faire crédit d’une indépendance exagérée.
Cependant, la présente édition ne se contente pas de démarquer en la simplifiant celle de F.-B. Elle offre trois innovations, d’importance inégale, qui peuvent justifier son existence. Elle n’adopte pas le même manuscrit de base que F.-B. Elle présente les poèmes dans un ordre qui se veut chronologique, et qui se fonde pour l’essentiel sur les travaux de Michel-Marie Dufeil, au lieu de les classer par thèmes d’inspiration comme dans l’édition F.-B. Elle est accompagnée d’une traduction.
Deux manuscrits peuvent servir de base à une édition de Rutebeuf, le manuscrit A (Paris, Bibl. Nat. fr. 837) et le manuscrit C (Paris, Bibl. Nat. fr. 1635). F.-B. choisit le manuscrit A, mais non sans hésitations ni scrupules, exprimés en ces termes :
Le recueil C se recommandait par deux mérites : il est la collection de pièces la plus nombreuse et il offre généralement un bon texte. Mais il est l’œuvre d’un scribe de la région de l’Est, dont les graphies rendent la lecture des textes plus difficile, créent parfois des équivoques, et n’étaient certainement pas celles dont se servait l’auteur. Aussi avons-nous pris pour base le recueil A pour toutes les pièces où il apportait son témoignage. Ce recueil célèbre, d’origine francienne, d’un travail très soigné, donne de très bonnes leçons : son défaut est seulement de n’avoir été copié que vers la fin du XIIIe siècle, à un moment où l’usure des formes a entraîné, sous la main du scribe, certaines graphies qui ne traduisent plus exactement le système morphologique de l’auteur. (I, p. 221)
On le voit, les reproches adressés à C se réduisent à peu de chose. Qu’il ait une graphie plus difficile et plus hérissée pour un lecteur moderne, est un argument de faible valeur. Qu’il ait été copié par un scribe originaire de l’Est — il présente « des traits mettant en cause à la fois la Champagne de l’Est, la Bourgogne et la Lorraine » (F.-B. I, p. 19), n’est pas en soi un inconvénient. Rutebeuf, on le sait, était champenois et il n’est pas sans intérêt que la collection la plus complète de ses œuvres porte la marque de sa région d’origine.
La collection la plus complète : voilà le principal argument en faveur de C. Il contient en effet cinquante pièces de Rutebeuf sur un total de cinquante-six, et presque cinquante-et-une, puisqu’il donne deux extraits du Miracle de Théophile, qui n’est intégralement conservé que dans A. Ce dernier manuscrit, pour sa part, ne contient que trente-trois poèmes, B (Paris, Bibl. Nat. fr. 1593) — dont le texte est souvent fort corrompu — vingt-six, les autres manuscrits entre un et cinq.
Quant au mérite essentiel que F.-B. reconnaît au manuscrit A, celui de donner « de très bonnes leçons », il ne constitue pas nécessairement un avantage. Ses leçons, en effet, sont bonnes en ce qu’elles sont limpides et logiques. Il paraît être l’œuvre d’un scribe attentif, qui, lorsque son modèle est corrompu ou lui paraît obscur, n’hésite apparemment pas à intervenir, intelligemment certes, mais à intervenir tout de même. Mutatis mutandis, il a un peu les mêmes qualités et les mêmes défauts que Guiot pour les romans de Chrétien de Troyes. Au demeurant, les cas ne sont cependant pas rares où il faut corriger son texte grâce à celui de C. Assez souvent, la leçon de C offre un sens plus plein que la sienne (cf. Zink 1986 et 1987).
Pour cette raison, mais surtout parce qu’il constitue le recueil le plus complet sans que ses inconvénients compensent cet avantage, on a choisi C comme manuscrit de base de cette édition. Elle offre donc un texte nouveau et ne répète pas celle de F.-B., qui laissait poindre, d’ailleurs, comme l’ombre d’un regret d’avoir renoncé à C :
L’inconvénient de notre choix est clair. Comme le recueil A ne donne pas toutes les pièces que nous publions, il a bien fallu, là où il était défaillant, prendre le recueil C (...). Quelques uns, néanmoins, auraient peut-être préféré trouver ici une image d’ensemble du recueil C, considéré comme un document de prix. (I, p. 221-2)
Aussi bien, les mêmes éditeurs avaient suivi C pour publier en 1946 Onze poèmes de Rutebeuf concernant la croisade.
La seconde innovation de notre édition est de présenter les pièces dans un ordre qui se veut l’ordre chronologique de leur composition à partir de l’hypothèse formulée par M.-M. Dufeil et présentée dans le premier chapitre de cette introduction. En effet, comme on l’a vu dans le second chapitre, le parti retenu par F.-B., qui consiste à répartir les poèmes de Rutebeuf en cinq catégories — poèmes concernant « l’Eglise, les Ordres mendiants et l’Université », poèmes de la croisade, poèmes de l’infortune, poèmes religieux, pièces à rire —, n’est pas sans inconvénient au regard de leur interprétation et de la compréhension de la poétique qui les fonde. Une autre solution aurait été de suivre l’ordre du manuscrit C. Mais cet ordre est totalement déconcertant et on n’a pu lui trouver aucune justification de quelque nature que ce soit, si ce n’est que dans le détail il arrive parfois que deux poèmes portant sur le même thème ou présentant des analogies se fassent suite. L’ordre chronologique, qui a été retenu, présente lui aussi un inconvénient de taille, celui de n’être pas sûr. Seuls certains poèmes qui se rattachent à l’actualité de leur temps sont datables de façon certaine. L’hypothèse de Dufeil reste une hypothèse. Même si elle est globalement fondée, comme je le crois, elle laisse dans le détail la place à bien des incertitudes. On peut estimer, cependant, que l’intérêt et le relief que l’œuvre prend sous cet éclairage valent bien que l’éditeur coure le risque — assuré — de se voir chercher querelle sur la datation de tel ou tel poème. Il aurait tort de s’en plaindre, ayant lui-même, de loin en loin, usé du même procédé à l’égard de Dufeil.
Enfin, la présente édition est accompagnée d’une traduction. Beaucoup de poèmes de Rutebeuf ont déjà été traduits par le passé, et certains plusieurs fois. D’autres ne l’avaient jamais été. Il est regrettable, et un peu absurde, de devoir traduire du français en français, de l’ancien français en français moderne. On abîme plus les textes que si on les traduisait dans une langue étrangère, puisque le traducteur se prive par définition — c’est l’objet même de son entreprise — d’exploiter le passé de la langue qui lui serait justement dans cette circonstance d’un secours précieux : façon de dire que le poème ne pourrait être rendu que par lui-même. Et on a l’impression de saccager ou d’affadir inutilement ce que lecteur pourrait, avec un effort, goûter et comprendre seul. Mais comment l’éviter ? Ce qu’on a dit de la poésie de Rutebeuf dans le chapitre précédent montre assez, de surcroît, qu’elle est dans sa nature même à peu près intraduisible. Cette brièveté nonchalante, ce jeu appuyé sur les rythmes et les rimes, ces perpétuelles facéties verbales, ces calembours, cette progression par l’entraînement des sonorités et du signifiant, comment les rendre ? Et tout cela disparu, que reste-t-il du poème ? Quelques lieux communs, l’évocation de querelles et d’angoisses oubliées. Car, bien entendu, les allusions constantes à une actualité vieille d’un peu plus de sept siècles ne facilitent pas les choses.
La traduction que l’on propose ici recherche avant tout la brièveté. Car on tue la poésie de Rutebeuf immédiatement si on la délaye, si on en fait disparaître le rythme nerveux, si, comme il est très difficile de l’éviter, on l’allonge en l’explicitant. Cette brièveté recherchée n’a été atteinte qu’imparfaitement et à grand peine. Les notes qui expliquent une tournure obscure, allusive ou haplologique et celles qui attirent parfois l’attention sur un jeu verbal que la traduction n’a pu rendre (il aurait fallu, à vrai dire, placer une note de ce genre presque à chaque vers) marquent autant de défaites. On a essayé dans la mesure du possible de conserver, non pas le rythme de Rutebeuf, mais un certain rythme, bien que là encore les échecs soient nombreux et cuisants. Enfin, on a présenté la traduction vers par vers en regard du texte original, sans la moindre prétention, certes, de traduire « en vers », mais pour que cette présentation juxtalinéaire permette au lecteur de ne jamais perdre de vue le poème original et, si possible, de le lire seul en ne se reportant rapidement à la traduction que lorsqu’il lui est obscur.
Les titres sont traduits au plus près de l’original. Mais c’est leur forme en ancien français — sous une graphie unifiée suivant l’exemple de F.-B — qui désigne les poèmes dans la table des matières et partout ailleurs. Ainsi le lecteur déjà familier de l’œuvre de Rutefeuf ne sera pas déconcerté.