Michel Zink, La repentance Rutebeuf
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Le texte
  Œuvres complètes de Rutebeuf, texte établi, traduit, annoté et présenté avec variantes par Michel Zink,
  M. Zink, 1990 : Paris, Garnier, vol. 1, pp. 298-302.
   
  CI COUMENCE LA REPENTANCE RUTEBEUF
   
  I
1 Laissier m’estuet le rimoier,
2 Car je me doi moult esmaier
3 Quant tenu l’ai si longuement.
4 Bien me doit li cuers larmoier,
5 C’onques ne me soi amoier
6 A Deu servir parfaitement,
7 Ainz ai mis mon entendement
8 En geu et en esbatement,
9 C’onques n’i dignai saumoier.
10 Ce pour moi n’est au Jugement
11 Cele ou Deux prist aombrement,
12 Mau marchié pris a paumoier.
  II
13 Tart serai mais au repentir,
14 Las moi, c’onques ne sot sentir
15 Mes soz cuers que c’est repentance
16 N’a bien faire lui assentir.
17 Coment oserai je tantir
18 Quant nes li juste auront doutance ?
19 J’ai touz jors engraissié ma pance
20 D’autrui chateil, d’autrui sustance[1] :
21 Ci a boen clerc, a miex mentir !
22 Se je di : « C’est par ignorance,
23 Que je ne sai qu’est penitance ».
24 Ce ne me puet pas garentir. f. 2 v° 2
  III
25 Garentir ? Diex ! En queil meniere ?
26 Ne me fist Diex bontés entiere
27 Qui me dona sen et savoir
28 Et me fist en sa fourme chiere ?
29 Ancor me fist bontés plus chiere,
30 Qui por moi vout mort resovoir.
31 Sens me dona de decevoir
32 L’Anemi qui me vuet avoir
33 Et mettre en sa chartre premiere,
34 Lai dont nuns ne se peut ravoir
35 Por priere ne por avoir :
36 N’en voi nul qui revaigne arriere.
  IV
37 J’ai fait au cors sa volentei,
38 J’ai fait rimes et s’ai chantei
39 Sus les uns por aux autres plaire[2],
40 Dont Anemis m’a enchantei
41 Et m’arme mise en orfentei
42 Por meneir au felon repaire.
43 Ce Cele en cui toz biens resclaire
44 Ne prent en cure m’enfertei,
45 De male rente m’a rentei
46 Mes cuers ou tant truis de contraire.
47 Fusicien n’apoticaire
48 Ne m’en pueent doneir santei.
  V
49 Je sai une fisicienne
50 Que a Lions ne a Vienne
51 Non tant com touz li siecles dure
52 N’a si bone serurgienne.
53 N’est plaie, tant soit ancienne,
54 Qu’ele ne nestoie et escure,
55 Puis qu’ele i vuelle metre cure.
56 Ele espurja de vie oscure
57 La beneoite Egyptienne[3] :
58 A Dieu la rendi nete et pure.
59 Si com est voirs, si praigne en cure
60 Ma lasse d’arme crestienne. f. 3 r° 1
  VI
61 Puisque morir voi feble et fort,
62 Coument pantrai en moi confort,
63 Que de mort me puisse deffendre ?
64 N’en voi nul, tant ait grant effort,
65 Que des piez n’ost le contrefort,
66 Si fait le cors a terre estendre.
67 Que puis je fors la mort atendre ?
68 La mort ne lait ne dur ne tendre
69 Por avoir que om li aport.
70 Et quant li cors est mis en cendre,
71 Si couvient l’arme raison rendre
72 De quanqu’om fist jusqu’a la mort.
  VII
73 Or ai tant fait que ne puis mais,
74 Si me covient tenir en pais.
75 Diex doint que ce ne soit trop tart !
76 J’ai touz jors acreü mon fait,
77 Et j’oi dire a clers et a lais :
78 « Com plus couve li feux, plus art[4]. »
79 Je cuidai engignier Renart :
80 Or n’i vallent enging ne art,
81 Qu’asseür [est] en son palais.
82 Por cest siecle qui se depart
83 Me couvient partir d’autre part[5].
84 Qui que l’envie, je le las[6].
   
  Explicit.
   
   
Manuscrits : A, f. 332 r ; C, f. 2 v° ; D, f. 25 r° ; R, f. 37 r°. Texte de C.
 
Titre : A La mort Rustebeuf, D Ci commance la repentance de Rustebuef, R mq. - 5. A ne me poi - 9. ADR Qu’ainz ne daignai nes (D nos) s. - 12. ADR Mau marchié, C Mon marchié ; D a paiement. - 14. R ne poc sentir - 15. A Mes fols cuers quels est repentance, D Mes ses c., R De mon las cuers k’est repentance - 16. A Comment oseroie tentir - 22. D Se je di che c’est i. - 23. R Que ne sace k’est repentanche - 28. A a sa forme fiere - 29. R plus fiere - 30. AD Que - 33. DR en la c. - 40. D Dont aucuns m’a - 44. ADR mon afere. Sur les raisons de préférer m’enfertei à mon afere, ou tout au moins d’admettre la leçon de C concurremment à celle des autres mss, malgré la disposition des rimes, voir Zink 1978 - 45. D tente m’a tenté. - 50. AD lion(s), C licar, R Que jusc’a lyons n’a vienne - 52. A fusiciene - 55. A i veut metre sa cure - 59. DR prenez - 67. ADR estendre, C atandre - 72. A quanques fist - 74. AR lessier en p. - 76. ADR Toz jors ai a. - 80. D mq. - 81. C est mq. - 83. A M’en covient - A Ci faut la mort Rustebuef et ensuite Expliciunt tuit li dit Rustebuef, D Explicit la repantance Rustebuef, R l’explicit mq.
 

[1] Le v. 20 apparaît identique dans le Dit des Règles v. 22. Voir aussi Pauvreté R. v. 7.

[2] L’allusion à la polémique universitaire paraît claire. Mais on peut observer que le Pénitentiel de Thomas Cabham, écrit vers la fin du XIIIe siècle, définit et condamne une certaine catégorie de jongleurs dans des termes voisins : Sunt... alii qui... sequuntur curas magnatum et dicunt opprobria et ignominias de absentibus ut placeant illis (« Il en est d’autres qui fréquentent les cours des grands et qui pour leur plaire traînent les absents dans la boue »). Cet aveu était donc de ceux que l’on attendait traditionnellement du jongleur pénitent.

[3] Sainte Marie l’Égyptienne. Voir le poème qui lui est consacré, et aussi Testament de l’âne 102.

[4] Proverbe, Morawski n° 2083. Cf. Complainte de Guillaume 29, Hypocrisie et Humilité 265.

[5] La traduction des v. 82-3 ne conserve pas le jeu de l’annominatio (depart - partir - part).

[6] Dans la langue du jeu, l’envier signifiait « proposer de continuer la partie en augmentant la mise » et le laier « quitter la partie » (F.-B. I, p. 578).

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