Panorama des principales éditions des œuvres de Rutebeuf. |
Manuscrits : A, fol. 328 v° ; B, fol. 101 ; C, fol. 51. |
Texte et graphie de A. |
Titre : B De regnart le bestourne ; C Ci encoumence li diz de Renart le bestournei. — 4 B r. ou r. ; C r. et r. — 5 B i mq. — B a large r. — 7 C Hon le — 8 B comme j’auoie — 9 C n. at v. — 10 B p. vous s. ; C b. veoir — 13 B mq.— 16 B en caues et — 17 BC Ne l. — 19 B Aincois en ; B pescheur, C pescheour — 22 BC d. on (C hon) b. — 24 B Est-ce d. — 26 B mq. — 29 B mlt en couuendra souf. — 32 B saluacon. — 34 C Nou f. ; B Mais non ; B li mq. — 35 B ains d. que plus ne lui en viegne — 38 C q. om c. — 40 B Raimbout, C Raimbors ; C Poufille — 44 B o. en f. — 46 B B. lui peust m. — 49 BC si grant v. — 50 B li poil me, C li peuzpeuz, AK 50 : poil. m’en — 52 B ne puis mot — 55 B mq. — C que vous en s. — 57 B t. les b. — 58 B mq. — 59 C A b. ; C a. b. — 60 B En leur m. — 61 B Et si ne — 62 B il redouble la — 63 B Quel n’enc., C Qui n’en ch. — 65 B Ne plus c. — 68 B Rooniaux, C Roniaux ; C c. la p. — 71 C Nes — 73 B de quoy sapporte — 76 B o. ja le — 77 B le mq. — 80 C Au s., B Au seigneur — 83 B mq. — 85 B Et com N. — 87 B Par mer et p. — 88-89 B mq. — 89 C En cui il — 92 B Rooniaux, C Roniaus — 95 C Tant v. ; B d. dicellui — 101 B Or se — 102 B l. conduiroit, C l. deduroit — 103 BC A tout sa c. — 104-105 ABC IIII — 107 C g. en t. — 108 BC Que r. de (B des) b. ne l’ot. t. — 109 B De b. — 110 B Ce s. ; C Se s. — 114 C de la p. ; B sa closture — 118 BC P. faire a. — 119 BC en devra a. — 120 C c. seivent a. sav. — 121 B Que f. — 124-126 B mq. — 124 C Roniaus — 125 A Et mq. — 126 C tpropt ; C t. que il p. — 128 AC I. ; C fil — 129 C Qui t... f. a soi, B Qui de m. f. a. t. j. soif — 131 AC I. ; B R. a un qua — 132 B pou si l. ; B c. mal a. — 133 B M. quil m. — 134 B Que t. ; B l. lyons vous e. — 140 B ch. et s. — 141 BC o. tout (C tot) g. — 143 BC o. est u. — 146 C lontoingnes — 147 B f. mlt g. — 150 B je tottroy q. — 152 B De ce pr. — 153 C Que hon d. ; B dit que t. — 155 BC g. en t. — 157 B Quar v. — 158 B N. croupoit a — 159 ABC .I. ; B Je ne croy pas que nul ; A en grouce — 160 B est or s. — 161 C Hom senege g. — 162 BC ne men ch. ; B b. aille. — B Cy fine Renart le bestourne ; C Explicit. |
[1] Titre : bestourné, « mis à l’envers », par un renversement de rôle, qui fait d’un être pendable le maître d’un royaume.
[2] 1-10. Allusions au Roman de Renart, mais seulement par à-peu-près : dans la branche XIII, Renart est cru mort ; dans la branche I, il échappe de peu à la potence ; dans la branche XI, il tente d’enlever à Noble son empire. Ce dernier thème va fournir à Rutebeuf l’idée que Renart s’est emparé du royaume de France.
[3] a lasche regne, « à bride abattue ».
[4] Col estendu, « au galop » (à cause de l’attitude du cheval à cette allure), s’emploie aussi au figuré, « rapidement » : aux exemples du T.-L., II, 553, ajouter Gautier de Coinci, Théophile, v. 630.
[5] devoit. Emploi idiomatique de devoir : « on prétendait qu’il avait été pendu ».
[6] Le roi Louis IX.
[7] vingnoble n’étant pas un nom propre, brie ne saurait en être un. Du reste, la Brie n’était pas du domaine royal. L’association champs et vignobles, blé et vin, est naturelle : M. Jean de Condé, Chevalier a la mance, v. 1971 : « biaus chans et mult bel vignoble ». Toutefois brie n’a pas été relevé au sens de « campagne » ; mais il ne l’a pas été non plus au sens d’établissement rural, qui est pourtant attesté : Dit des taboureurs (Jubinal, J. T., p. 166) : « Poi trueve l’en en brie (imprimé à tort avec une majuscule), n’en vile, n’en hamel... » Cf. H. F., XXIII, p. 670 J : « villa quae dicitur Bria versus Bonelles », où Brie est un nom de lieu, fréquent dans la toponymie ancienne et moderne, dont la signification est ici précisée par ville.
[8] Constantinople, capitale de Noble dans le Roman de Renart, branche V, v. 448. Ici, aucune allusion à l’empire d’Orient comme tel : il s’agit de la France.
[9] povre pecheor, « pauvre diable ».
[10] 20-21. « peschierres en mer », métier considéré comme particulièrement dur (Riote du monde, prose, § 76). Ici la préposition dedenz évoque l’idée d’une noyade et pourrait créer une allusion dont le sens nous échappe.
[11] 22-23. Jeu de mots ancien et souvent répété sur amer (< amare) et amer (< amarum). Au v. 22, l’inversion du sujet n’indique pas une interrogation, qui impliquerait une ironie dont le passage est exempt.
[12] droiture, « sa règle, son propre ».
[13] norreture, « famille », au sens large.
[14] En France.
[15] movoir tel guerre. Il n’y a aucune raison de penser (malgré le v. 161) qu’il s’agisse de guerre extérieure. Rutebeuf, comme d’autres, emploie souvent guerre pour parler simplement d’un conflit, lequel peut consister ici dans les désordres intérieurs que pourraient créer Renart et ses suppôts.
[16] Le pays de France.
[17] Allusion probable à la confiance que Louis IX mettait par dévotion dans les Jacobins et les Cordeliers, sauvations pouvant s’entendre soit au sens matériel, soit au sens religieux.
[18] Non fet, « non pas ». — de Dieu li soviegne : « qu’il prenne garde à Dieu ! » Manière de rappeler à la raison : cf. Trois aveugles de Compiègne, v. 294 (à un bourgeois qu’un prêtre veut exorciser) ; Des Perdrix, v. 90 (à quelqu’un qui vient de tenir un propos incroyable) ; etc.
[19] Ainçois, « plutôt » (au contraire de ce qu’il croit). — dout, « je crains » ou « qu’il craigne... ! ».
[20] monter. L’un des nombreux sens de ce verbe est, avec diverses nuances, « avoir de l’utilité, du prix, valoir, etc. » D’où, plus vaguement, comme ici : « Si Noble savait ce qu’il en est... ». Cf. Menestrel de Reims, § 382 : « Vous ne savez que ce monte », où il s’agit du comte d’Artois se laissant abuser par un faux renseignement.
[21] 38-45. Allusion aux critiques dont Louis IX était l’objet dans le peuple à cause de sa dévotion et de ses austérités, jugées excessives. Voir dans Guillaume de Saint-Pathus, p. 118, l’épisode de la femme Sarette.
[22] Le Se du vers 37 introduit une conditionnelle absolue : « Ah ! si Noble pouvait savoir..., etc. » (cf. G 37-45 et note). La phrase pourrait être considérée comme terminée avec le vers 39, les vers 40-45 formant alors un groupe nom-proposition relative, avec valeur de proposition indépendante (cf. A. Tobler, Mélanges de grammaire française, trad. Sudre, pp. 311 ss.) ; mais les noms Raimborc et Poufile peuvent être pris de préférence comme épéxégétiques du pronom en (v. 38), les vers 37-45 ne faisant qu’une seule phrase.
[23] De ces animaux-personnages l’un au moins est certainement venu du Roman de Renart, où, dans un épisode propre à certains manuscrits de la branche Va (édit. Martin, t. III, p. 183), on lit :
Nus ne remest dedanz la vile,
Fors seulement dame Pofile,
Qui ne soient alez batre,
Ça dis, ça cinq, ça set, ça quatre...
[24] Cf. AF 52 et note.
[25] « n’entra dans un coeur noble ».
[26] Daire. Darius III, assassiné par Bessus et Ariobarzane. Souvenir du Roman d’Alexandre. On en vient ici au grief central de l’auteur : « avarice », manifestée par les mesures d’économie. — On ne voit pas qu’ailleurs le meurtre de Darius ait jamais été imputé à l’avarice de ce roi. Robert de Blois (Enseignement des princes, v. 1193 ss.) l’attribue au fait qu’il avait mis sa confiance en des gens de rien : c’est de Porus qu’il fait la victime de son manque de libéralité à l’égard de ses officiers (v. 1458-1498).
[27] cuers. La bonne leçon doit être peuz (« poil »).
[28] roiaume et empire. Jeu de mots (empire = en pire) : cf. Z 131 et note.
[29] Pour ce tour, cf. AE 112.
[30] 55-63. L’interrogation porte simultanément sur les deux éléments de la phrase, unis par et se (v. 61).
[31] dessamble, « tient à l’écart ».
[32] il, masculin, à cause de l’idée de « sujets » incluse dans l’image « bestes ».
[33] se = si, par dissimilation.
[34] 62-63. de la seson : prolepse. Le sens est : que la seson n’enchierisse, « que la vie devienne chère », seson remplaçant ici le mot tens, ordinaire dans l’expression chier tens (sur laquelle voir AP 13 et note).
[35] ja de ceste anee n’isse, « ne vive pas plus longtemps que cette année-ci ». Cf. le même genre de malédiction avec semaine ou soir : Tresces (M. R., IV, p. 73, v. 181), « ja ne past ceste semaine qui a tel honte me demaine ! » ; — Rutebeuf BE 163, « mot n’en deïsse se je anuit de cest soir isse (dussé-je mourir cette nuit même ») ; etc.
[36] més, « jamais ».
[37] sa porte. Probablement « de quoi est faite sa charge ». Cf. « poissons venant par porte (transport par terre) e par yaue », dans une Ordonnance de 1369, citée par Godefroy. Ici, avec jeu de mots (« qui est le maître de sa porte, de son palais »).
[38] 77-78. Parmi ces « bêtes » figureront Bernart et Ronel, qui n’ont pas le « renom de mal faire ». C’est que l’auteur a déjà dans l’idée les personnages humains désignés par ces noms d’animaux et qu’il considère, eux, comme malfaisants.
[39] aus seigneurs (ms. A), au seigneurs (ms. C, où au = aus selon l’usage fréquent du scribe, et aussi celui du scribe de B) ; mais au seigneur (ms. B). On ne sait donc s’il s’agit du roi ou des seigneurs.
[40] s’en passent. En lisant au seigneur, le pronom il désigne nécessairement les malfaiteurs ; ce n’est qu’une possibilité en lisant aus seigneurs. Il faut entendre sans doute : « et ils (les malfaiteurs) passent outre (sans s’en soucier) ».
[41] Feroit la bataille premiere, « formerait le premier corps de bataille ».
[42] « à lui tout seul ».
[43] 96-97. « Personne n’obtiendra jamais considération de sa part pour un service fourni ».
[44] « Quand l’action (la bataille) serait engagée. »
[45] Ces quatre sont l’origine de tout, c’est d’eux que tout dépend.
[46] 105-106. « Ils ont la disposition et le commandement de tout l’hôtel ».
[47] Cf. v. 155. Au figuré : « La chose se présente de telle façon... »
[48] 107-108. La leçon de B, C exigerait une ponctuation forte après té, le vers suivant formant une exclamative ; l’ représenterait alors, au v. 108, l’idée de situation, à dégager, mais bien hardiment, du v. 107. La leçon de A donne le sens : « jamais roi de bêtes n’eut pareillement bel équipage », où toutefois, au v. 109, l’on attendrait l’indéfini un plutôt que l’article le.
[49] 111-112. C’est-à-dire : ou bien qu’ils n’aiment pas voir trop de monde à la cour, ou bien qu’ils opèrent en catimini.
[50] Quand Noble pâture (se met à table), chacun sort du pâturage (de la salle à manger).
[51] 117-118. Retour à l’idée de l’avarice du roi.
[52] « qui dirigent ses finances ».
[53] gete, tient les écritures et, spécialement, fixe des impôts. — mesconte, fausse les comptes.
[54] troupt (C : tpropt, forme également attestée). Outre les exemples relevés par Godefroy, cf. les renvois de Tobler, Li Proverbe au vilain, p. 169. Ajouter Richeut, v. 967-969. — quel, leçon de A (dans C : que il ; B manque) = que le, « qu’il le ». — Celui qui « portait le sceau » recevait l’ « émolument du sceau », que la caisse de l’Hôtel prenait en compte et sur quoi les chambellans prélevaient leur part.
[55] 128-130. Dans le Roman de Renart, Primaut est le frère d’Isengrin.
[56] Les bons us (cf. v. 142), parmi lesquels l’usage de manger à porte ouverte.
[57] 144-147. paier le musage, « payer (à son détriment) le prix d’un temps perdu, ne rien obtenir » (aux exemples donnés par Godefroy, qui traduit un peu différemment, ajouter Henri d’Andeli, Lai d’Aristote, v. 174). Dans le texte, assez de renforce l’idée de perte. — avaloingnes : exemple unique de ce mot, que Godefroy a enregistré sous la forme analoignes, le traduisant par « chicanes, longueurs, délais » et supposant qu’il serait le même qu’aloigne . L’on pourrait en effet concevoir un en aloigne (opposé à l’expression courante sans aloigne) substantivé en enaloigne, « espoirs différés, vaine attente ». — paier... a ces bestes, « payer par ces bêtes ». — lontaingnes parce qu’elles sont tenues à l’écart. — essoingnes, « difficultés, embarras ».
Le sens du passage est que les maîtres de l’hôtel trompent dans leurs espérances ceux qu’ils éloignent de la cour et auxquels ils imposent ainsi une dure épreuve.
[58] « J’accepte, pour ma part, qu’on me tonde (comme un fou) », « j’accepte qu’on me tienne pour fou ». L’expression commande généralement, comme ici, une conditionnelle.
[59] Des maux pour les auteurs même des méfaits : expliqué par ce qui suit.
[60] Nombreux exemples de ce proverbe relevés par Tobler, Li Proverbe au vilain, p. 173.
[61] Cf. v. 107.
[62] l’Once. Voir, dans l’édition Ham, pp. 28-30, le résumé de diverses opinions relatives à ce sujet. — L’once est proprement le chat once, dit aussi jaguar ou panthère des fourreurs. Dans le Roman de Renart (édit Martin, Ib, v. 2827-2834) Poncet, cousin de Grimbert le blaireau, raconte que les fils de Renart sont allés chercher un vengeur de leur père, pendu par Noble, auprès de « ma dame l’Once », qualifiée de « la haïe » et qui « tient tout le siècle en sa main ». Il n’y a aucune bête qui ose lui résister. Cette invention doit reposer sur des données traditionnelles qui peuvent avoir pour origine l’Apocalypse, où la « bête de la mer », pard ou léopard, instrument du dragon qui combattra l’Église, et dominatrice de toutes les nations, symbolise la puissance par laquelle seront opprimés les serviteurs de Dieu. Mais, quelle qu’en soit l’origine, le texte du Roman de Renart peut suffire à faire comprendre les vers de Rutebeuf : « chacun voudrait voir venir l’once, la terrible, qui balaiera tous les animaux malfaisants de la cour de Noble, et peut-être Noble lui-même ».
[63] « Si Noble trébuchait en se prenant dans les ronces », c’est-à-dire « s’il lui arrivait malheur ».
[64] senesche, « annoncer, présager » : cf. A. Thomas (Romania, t. XXXVII, 1908, pp. 603-608 et XL, 1911, p. 565). Il ne s’agit pas d’une guerre qu’on a l’intention de faire, mais des craintes de guerre provoquées par l’agression des Tartares et qui avaient motivé l’assemblée du 4 avril 1261.
[65] L’expression més que, avec le subjonctif, signifie le plus souvent « pourvu que » : ainsi dans les pièces AB 221-223 et F 137. C’est elle qu’il faudrait reconnaître ici dans la leçon des mss. B et C, si l’adverbe en renvoyait à l’idée du v. 161. Mais alors la phrase, selon B (peu m’importe pourvu que les choses aillent bien »), serait presque en contradiction avec les sentiments précédemment exprimés par l’auteur et, selon C (« peu m’importe pourvu que les choses aillent mal ») ; serait un vœu monstrueux. Or l’adverbe en, au lieu de renvoyer à ce qui précède, peut aussi bien annoncer ce qui suivra, à condition de ne pas voir en més que une locution conjonctive et de dissocier les termes més et que. Le sens devient alors très satisfaisant : « on présage guerre et bataille : peu m’importe désormais que les choses aillent mal ». Autre exemple de rencontre fortuite entre més et que dans AH 62 : « n’en pueent més qu’il lor meschiet ».
En tout cas l’interprétation « pourvu que je n’y aille pas moi-même (à la guerre) » est exclue et a été abusivement proposée par M. Ham dans la ligne d’une thèse particulière.